n°16 Impasse des feuilles vertes [Famille Kuroro]

Et une nouvelle journée en tant que shinobi, une. C’était blasant rien que d’y penser. En plus, la soirée précédente, j’avais reçu une convocation qui me sommait de me rendre à l’académie afin d’y suivre des cours avec un nouveau professeur. Apparemment, son prédécesseur ne voulait plus de moi … C’était sans doute inévitable, après l’épisode du lapin, mission de rang D selon lui lamentablement ratée à cause de ma paresse. Même si je ne voyais pas de quoi il se plaignait : il l’avait attrapé son lapin. Comme si j’allais m’arracher de la contemplation d’un coin de verdure pour attraper un lapin : ça saute partout, c’est vif, donc c’était se fatiguer pour que dalle que de lui courir après. J’avais accepté une carrière de shinobi, mais les missions trop faciles et trop dures, j’avais ça en horreur. Une simple mission d’escorte sans embûches, à la limite quelques brigands que mon équipe négocierait en partie à ma place … A la limite, si je me retrouvais à balancer deux ou trois fléchettes pour faire bonne mesure, ça ne me dérangeait pas tellement. Ou bien faire quelques clones, une métamorphose, pour embrouiller l’ennemi sans trop forcer sur mes capacités …
Enfin, que de suppositions fatigantes alors que le soleil du matin resplendissait encore très faiblement à l’horizon ! Je m’étirais avec des bruits ma foi fort peu convenables, mais qui n’avaient aucune oreille irritable à portée d’écoute, si ce n’était les miennes. Et à une heure aussi juvénile, elles n’avaient encore pas la capacité de s’outrager de ces nonchalances. Remarquez, même à des heures plus âgées, elles n’en avaient pour ainsi dire rien à faire.

Après m’être habillé de mon costume coutumièrement élégant, je dévalais les escaliers à la vitesse d’un escargot des moins supersoniques, et arrivait en bas avec une tenue soignée et aux plis respectables ; qui jurait affreusement avec ma mine froissée et mes cheveux encore en bataille. Je n’avais pas encore vêtu de veste noire, étant simplement en chemisette blanche, et sans chapeau … Et, ma foi, quand je passais devant le miroir, je me trouvais plutôt sexy. Il faudrait que je repense à une tenue plus débraillée, un jour où je ne saurais plus de quoi recouvrir mon corps. Un jour. Là, j’avais la flemme de réfléchir à un autre mode vestimentaire. Peut-être qu’en trouvant une femme, elle choisirait pour moi … Non, non, c’était encore plus épuisant de courtiser une femme, j’attendrais simplement d’en avoir une qui s’intéresse à moi, je la chauffe un peu, on couche ensemble, et je lui propose d’être ma fiancée avec un regard attendri. C’est dur, mais au moins c’est moins long que de s’embêter à trouver ‘l’amour de sa vie’.
Ma mère coupa court à mes réflexions en me gratifiant d’un baiser sur le front et d’un énergique ‘bonjour’. Vautré sur ma chaise, ma tartine à la main et mon bol de chocolat sous le nez, je ne pus que marmonner quelque chose d’inintelligible, qui passait pour un grognement, mais était bel et bien une salutation ‘enjouée’ et ‘pleine d’énergie’.

‘’ Ton grand-père dort encore, et ta grand-mère est parti au marché avec deux ou trois de ses amies. Donc pas la peine de les attendre avant d’aller à l’académie, ils ne seront pas là avant une ou deux heures. Tu leur diras bonsoir en lieu et place de bonjour, aujourd’hui, d’accord ? Enfin, en espérant que, cette fois, tu rentres à l’heure prévue et pas deux ou trois avant parce que tu as la flemme de faire plus ou que ton senseï en a marre de ton attitude … ‘’

‘’ Ouais, t’inquiètes. ‘’

‘’ Bien sûr que je m’inquiète, je suis ta mère. Et j’ai très à cœur de te voir réussir à devenir un grand ninja, et un homme bien. Tu es déjà un jeune homme bien, je sais que tu as de bonnes dispositions pour devenir encore meilleur. Par contre, pour le grand ninja je suis toujours en attente. Tu refuses systématiquement les matchs amicaux, donc personne ne t’as jamais vu en action ! ‘’

‘’ Une effusion de sang amicale, c’est stupide. ‘’
‘’ Ce sont de bons tests pour voir de quoi tu es capable, évaluer tes limites, et donc mieux se préparer aux missions difficiles. Et si tu ne prouves rien tu vas devoir te cantonner aux petites missions stupides de rang D … D’ailleurs si tu en as une nouvelle, fais en sorte de ne pas la rater, cette fois, ok ? Parce que bon, rattraper un lapin c’était pas compliqué, quand même ! De quoi j’ai l’air en racontant ça ? ‘’

‘’ Ouais. ‘’

‘’ Ne me réponds pas ‘ouais’ avec ce ton nonchalant ! Remues-toi ! Quand je dis à mes amies que j’ai un fils shinobi, c’est un concert de sifflements admiratifs et envieux tu sais ? Si elles savaient que c’est un incapable qui a manqué une mission de rang D, a redoublé deux fois à l’académie et n’est pas fichu de garder un senseï plus de quatre jours ! ‘’

‘’ Désolé. ‘’

‘’ Tu t’es déjà excusé la dernière fois ! Je veux des résultats ! Cette fois tu as intérêt à te bouger le popotin, mon fils, sinon je te renie et je t’excommunie au pays du sable ! Tu vivras avec les dromadaires et les lézards et le soleil t’empêchera de bronzer en paix parce qu’il faudra que tu cours partout pour chercher de l’eau ! Ce soir quand tu reviendras, ton senseï sera satisfait, c’est bien compris ? Et tu auras appris des trucs UTILES, sans sécher des heures de cours en dormant ! ‘’

Elle devenait vraiment hystérique, il était temps de calmer le jeu. J’enfonçais un doigt dans mon oreille droite et plissait les yeux avec l’air du souffrant sur un lit d’hôpital, pour qu’elle cesse de me houspiller et me laisse la parole. Cette étrange ruse marchait à chaque fois.

‘’ T’énerves pas … C’est d’accord, je vais faire un effort pour apprendre deux-trois trucs sympas et répondre à ses attentes. Promis. Mais arrêtes de hurler, s’il te plaît, tu me fais mal aux oreilles … ‘’

‘’ Désolée, Tadai … Reviens-moi comme un ninja, cette fois, d’accord ? ‘’

Elle me serra contre elle, et je m’obligeais à murmurer une vague approbation. J’enfilais la fin de ma tunique plus rapidement que d’habitude, et glissais mes fléchettes à ma ceinture. Mon parchemin explosif, lui, était soigneusement conservé dans la poche de ma veste, pas vraiment prêt à servir, mais au moins présent sur mon équipement. Mon armure de Genin était, elle, glissée sous mes vêtements.
Ainsi paré, je me coiffais rapidement, déposais mon haut-de forme sur mon cuir chevelu, puis me mettais tranquillement en marche vers l’académie.
Au moins, pour une fois, j’avais toutes les chances d’être à l’heure.


Académie (Grand Tatami)